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Vous avez aimé l’histoire d’hier ?

Et bien j’en ai une autre pour vous :

Hier, en faisant le pied de grue à la douane, un routier m’a raconté qu’apparemment à El Callao, à 400km au nord, il y a un blocus de route depuis deux jours.

Vous voyez déjà où je veux en venir, hein ?

Alors ce matin, départ à 5 heures, et direction nord. Je passe La Gran Sabana, très belle aux premières lueurs du jour, direction El Callao.  Je n’arrive même pas jusque là, la route se termine à un croisement. Un croisement stratégique. TOUT le trafic doit passer ici, il n’y a pas de contournement possible.

Heureusement que j’ai fait le plein hier. Aujourd’hui toutes les stations d’essence sont fermées. Ordre du gouvernement, à cause du blocage de route, car il est toujours en place, vous vous en doutez bien. Plus aucun ravitaillement en essence ne passe, et les stations sont réquisitionnées pour les véhicules officiels. Mais mon réservoir est presque à sec, j’enjambe la barrière d’une station s’essence. Pendant que je discute avec le pompiste, un camion de militaires se pointe, et érige une barricade sur la route juste à coté: On ne passe plus.

C’est ce qu’on va voir : Je vais voir les militaires, leur raconte toute une litanie d’histoires pour qu’ils me laissent passer quand même. Ca dure, mais je les ai à l’usure, on me laisse passer. J’ai 40km à faire et de l’essence pour 70, je ne pourrai donc pas revenir par ici, le seul endroit ou il y a un hôtel.

En fait de barricades, c’est juste un arbre et une corde qui barre la route, c’est peu mais ça gueule fort pour compenser. Mon stratagème est tout prêt. Je vais voir les mineurs, leur dis que je suis journaliste et que leur problème m’intéresse au plus haut point. Tout cela, caméra en bandoulière et carnet de notes à la main. Tout de suite je suis encerclé, tout le monde me raconte en même temps. Ce sont vraiment de pauvres gars. Ils travaillent dans une mine d’or qui existe depuis 150-200 ans. (Les chiffres sont à considérer avec beaucoup de réserves, car les gars sont vraiment excités) Ils n’ont pas de salaire fixe, mais sont payés à la production. Production qui ne fait que baisser. Ils ont à peine de quoi se nourrir, et maintenant le gouvernement a décidé de fermer les mines. Car il y a plusieurs mines, qui emploient quelque 100.000 ouvriers, d’après eux. C’est toute la région qui va mourir. Le gouvernement s’en fout, il n’y a même pas de représentant ici. Faut dire que, en une période où les prix de l’or explosent, et où on rouvre des vieilles mines un peu partout, pour qu’un gouvernement socialiste comme celui de Hugo Chavez ferme une mine parce qu’elle n’est productive, alors la production doit être près de zéro. Et les salaires des mineurs encore plus.

Je note tout soigneusement, fais quelques photos. Puis je pose la question dont je crains la réponse :

Alors, pendant combien de temps encore pensez vous bloquer la route ?

« Jusqu’à Noël ! »

Eh ben, j’ai l’impression que cette année le père Noël à commencé sa distribution de tuiles un peu plus tôt. Me voilà dans la merde jusqu’au cou.

Je retourne à ma moto, étudie la carte. Le seul détour passe par le brésil puis le Pérou, une histoire de quelques milliers de kilomètres…

Bon, va falloir jouer serré. Je retourne près de la barricade et commence à discuter avec l’un des mineurs qui me semblait moins excité que ses copains. Je lui explique que je dois absolument être à Caracas le lendemain pour prendre un avion et rentrer au Luxembourg, car je dois reprendre le travail lundi. Et puis je vais faire de la bonne publicité pour eux, et un don généreux dans leur caisse de grévistes. Il se laisse convaincre, ainsi que quelques autres, mais c’est surtout mon don potentiel qui les attire, bien sur. Ensembles on retourne chercher ma moto, je roule vers la barrière. Mais c’est sans compter avec les autres mineurs, les plus excités. Alors ça commence à hurler ; il n’est pas question que je passe ! On s’énerve de plus en plus, ça risque de tourner au vinaigre. Des poings se serrent, on me jette des regards hostiles.  Prudemment je rebrousse chemin, je n’ai pas envie de me faire tabasser par une bande de mineurs en fureur.

Mon nouveau pote s’appelle Keynes, et il veut mon pognon, c’est clair. Tout comme c’est clair que cet argent ne va jamais atterrir dans la caisse des grévistes.

Vous me connaissez, je peux être très têtu. Et quand on veut, il y a toujours une solution, suffit de chercher.  Je cherche, j’observe les parages et je trouve : Il y a une petite chance de contourner le piquet de grève par les jardins des maisons situées à contrebas de la route. Ca va être risqué, il ne faudra pas qu’on nous voie, ni nous entende. Discrètement je m’éclipse, Keynes et 3 de ses copains viennent me rejoindre. Ca va être difficile, mais c’est jouable, et on tente le coup. Comme il est hors de question que j’allume mon moteur, on pousse et tire la lourde bécane à travers trois jardins successifs; on passe à seulement 20 mètres en contrebas des grévistes. En silence on s’acharne dans la terre boueuse, contourne le piquet de grève ; personne ne nous aperçoit. Puis, dernier obstacle : Un escalier d’une dizaine de marches à monter, étroit et en angle droit en son milieu. A quatre on n’y arrivera pas. Mais comme partout dans le monde, l’argent fait la loi : J’augmente mon offre, deux nouveaux mineurs sont vite trouvés, et à 7 on hisse la moto sur la route. Des billets de banque changent rapidement de main, je saute sur ma moto et file sans demander mon reste.