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Fini la rigolade

Alors qu’avant-hier j’ai survolé la savane guyanaise, aujourd’hui le plaisir n’a duré qu’une dizaine de km, jusqu’à l’entrée du parc Iwokrama. La route est fermée, un policier en shorts et torse nu veut voir mes papiers. On est en pleine forêt tropicale, mais qu’est ce qu’il me veut ?

La nuit passée il y a eu de violents orages, et me voilà à zigzaguer dans la boue. La piste ici est bien plus étroite, oubliées sont les pointes à 120km/h d’avant. La piste est trouée partout et les trous sont remplis d’eau ; je ne puis plus voir s’ils sont profonds ou non. Malgré une vitesse plus que prudente, je n’arrive pas à éviter tous les pièges, souvent  je ne puis passer, ni d’un côté, ni de l’autre.

Hier soir, Leon, tour-guide à la Rock View Lodge, m’a dit qu’en Guyana, on inculque aux gosses : « S’il y a devant toi quelque chose, dont tu n’en vois pas le fond, n’y vas-pas ! » Ces mots me viennent en mémoire, alors que je suis à l’arrêt devant une immense flaque d’eau brune, qui barre tout passage. Qu’y a-t-il là-dessous ? Je n’ai pas le choix, j’enclenche la première et m’enfonce prudemment dans l’eau brune. C’est profond. L’eau me rentre dans mes bottes par en haut, donc ce ne doit pas être loin de 50 cm de profondeur. Mais c’est là le moindre de mes soucis, maintenant in ne faut surtout pas caler et tomber ici. J’accélère, la moto peine, l’eau gicle par-dessus ma tête, entre dans mon casque ; je ne vois plus rien, mais je passe. J’aime cette moto, de plus en plus.

Wow !

Je voulais de l’action, et bien je suis servi.

Des flaques profondes comme celle-ci, il y en aura une demi-douzaine. Ajoutons à cela des dizaines de chocs violents quand je frappe un nid-de-poule de plein fouet, plus une trentaine de ponts en bois, plutôt glissants aujourd’hui.

Je roule sans interruption, la journée sera longue. Par deux fois seulement je m’arrête ; contrôle de policiers ( ?) en short et torse nu, hallucinant.

Puis la route s’arrête. Devant moi un fleuve, l’Essiquibo. Pas de pont, mais un bac sur l’autre rive. Et celui-ci ne fait pas mine de vouloir venir me prendre. Je fais des grands moulinets de mes bras, je klaxonne, rien à faire. Une pirogue vient accoster. Le jeune qui la pilote m’explique que le bac ne prend pas de deux-roues ; je dois attendre qu’une voiture vienne et me joindre à elle. Puis il me propose de transporter ma moto dans sa petite pirogue,  offre que je décline poliment. Au bout d’une heure un 4x4 se pointe, le traversier vient nous prendre, on traverse, et je peux reprendre ma route. Entretemps j’ai pris pas mal de retard, je roule à une moyenne d’à peine 30 km/h, je viens de faire 100km ; il en reste 230 devant moi.

Cent km plus loin la route change de couleur, le rouge vire au jaune ; le sable remplace la boue. Ma vitesse tombe encore d’un cran. Maintenant ça devient acrobatique ; j’ai de plus en plus de mal à contrôler ma lourde moto. Un camion lancé à fond me croise et je suis aveuglé pendant quelques instants. C’est alors qu’une ornière de sable me jette par terre. Ma jambe est coincée sous la moto, je n’arrive pas à la dégager, ça fait mal. Puis ça sent l’essence, mon réservoir fuit. Heureusement j’arrive à couper l’alimentation en essence, puis je me libère péniblement. Ca fait un mal de chien, mais rien n’est cassé.

Mais sur ce sol instable, il est impossible de relever ma moto, beaucoup trop lourde. A pleine charge elle doit bien faire vers les 350 kilos. A cause de tous mes bagages et de mon deuxième réservoir d’essence, le centre de gravité est très haut, beaucoup trop haut. Alors que je m’apprête à tout décharger pour l’alléger, un camion s’arrête, deux costauds descendent et à trois on remet la moto debout. Je repars. Trop bête, je suis tombé à peine cinq kilomètres avant que la route devient meilleure. Je remets les gaz, je recommence à foncer.

Mais aujourd’hui n’est décidément pas ma journée. Un orage éclate, il fait noir, tout est inondé. En un tournemain, la piste devient une vraie patinoire. Maintenant je roule carrément au pas, mais je manque encore de tomber plusieurs fois. Heureusement qu’à Linden, la prochaine ville, la piste va devenir une route asphaltée. Il reste 25 km à galérer ; Il me faut 1 ½ pour le faire.

Il fait nuit quand je m’arrête, lessivé. Pas question de continuer jusqu’à Georgetown, comme c’était mon intention.

Demain matin, de bonne heure je dois absolument être à l’ambassade du Suriname pour demander un Visa, sinon je perds quelques jours.

La nuit sera courte…