Je m’organise
Je dois réagir, m’organiser
Pour éviter de dépérir ou de devenir cinglé, je dois occuper mon corps et mon esprit. Il faut absolument que j’évite d’être assis et de me laisser aller.
Pour occuper et entretenir mon corps, il y a la gymnastique ; pour mon corps je n’ai rien à part le calcul mental.
Ensuite, je m’interdis de leur croire quoi que ce soit, ils mentent tout le temps.
Et puis, je dois trouver un moyen de sortir de cette cage le plus souvent possible. Je ne sais même pas s’il fait jour ou nuit.
Alors je commence à tambouriner à ma porte. Quand un gardien vient voir ce qui se passe, je lui dis qu’il faut absolument que je parle à son supérieur. Après quelque temps on m’introduit dans le bureau de celui-ci. En passant dans le couloir, je vois qu’on interroge d’autres prisonniers. Ils ont tous les yeux bandés, les mains menottées derrière le dos. Ils sont pieds nus. Durant l’interrogatoire ils sont agenouillés.
Je mens au responsable (Il s’appelle Nabir) que j’ai un problème de cœur, et qu’il me faut des médicaments. Il appelle un docteur :
- As-tu un problème de cœur ?
- Non, mais j’ai un taux de cholestérol extrêmement élevé, et je dois prendre un médicament chaque jour.
- Quel médicament te faut-il ?
- Il est dans mes affaires
Je n’ai ni problèmes cardiaque, ni un taux extrêmement élevé, mais j’ai effectivement un médicament préventif contre un taux de cholestérol excessif. Ca fait des semaines que je ne l’ai pas pris, mais maintenant il peut m’être bien utile.
On envoie quelqu’un chercher mon médicament. Pendant ce temps je scrute le bureau et vois qu’il y a un réfrigérateur. Ca me donne une autre idée. On apporte mon médicament, et je m’empresse d’avaler un cachet.
- Ce médicament doit être tenu au frais, puis-je le mettre dans ce frigo et venir chercher un cachet tous les matins ?
Une brève discussion s’en suit, puis on m’accorde cette faveur : Je viens de gagner un ticket de sortie pour chaque matin. Il faut profiter de la présence du Médecin, qui me semble un peu plus flexible que les autres.
- Docteur, je suis âgé et j’ai un problème de prostate, je dois aller aux toilettes très souvent ; serait-il possible de ne pas m’enfermer pendant la journée, comme-ça je pourrai aller aux toilettes sans déranger les gardiens tout le temps !
Encore un mensonge, mais ça ne coute rien d’essayer. Cette fois la discussion est plus longue. Puis :
- OK, tu seras enfermé seulement la nuit !
Je n’en crois pas mes oreilles, ça marche ! Finalement, ma cellule ne sera quand même ouverte que de temps en temps, mais c’est quand même génial de ne pas me voir enfermé tout le temps. Alors tant qu’à faire :
- Une dernière faveur, docteur: J’ai tellement de problèmes de communiquer avec les gardiens ; dans mes bagages il y a un dictionnaire Arabe ; si je pouvais l’avoir ?
Je ne compte même pas dessus. Effectivement c’est non, mais le toubib intervient en ma faveur, et dix minutes plus tard j’ai en main de quoi occuper mon esprit pour des mois !
Avant de réintégrer ma cellule, je vais évidemment aux toilettes. Il y a un lavabo, où je me sers en eau potable. Je peux également m’y laver, mais on ne m’a fourni ni savon, ni serviette de bain. Mais à côté du lavabo il y a une poubelle. A part des restes de nourriture j’y trouve une grande bouteille de plastique vide. Je la prends, la remplis d’eau. Maintenant j’ai une réserve d’eau suffisante ; le demi-litre que j’avais avant ne suffisait pas.
De retour dans ma cellule, je commence à en faire le tour. Un tour fait dix mètres, peut-être un peu plus.
Et je commence à tourner ; dix tours vers la gauche, dix tours vers la droite.
Cent tours : Un kilomètre
Lorsque je ne marche pas, j’étudie mon Arabe, et lorsque je me couche sur le sol froid pour ma troisième nuit, j’ai marché sept kilomètres.