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A peine m’étais-je couché, qu’un gardien rentre la tête et dit :

-          You go !

C’est trop beau ; je n’y croyais plus et voilà qu’on me libère. Je me lève, prends mes sacoches pour les fixer sur mon vélo. Le gardien me fait signe « non », puis prend les sacoches. Je sors avec mon vélo. Devant ma porte est l’un des responsables de la prison avec trois gardes que je n’avais pas encore vus. L’un me prend mon vélo de la main, tandis que le commandant me passe des menottes !

Je suis à nouveau dans la vieille Peugeot, menotté, la roue de mon vélo dans la nuque. On a repris direction sud.

-          Où allons-nous ?

Pas de réponse. Le gardien sur le siège passager avant m’a été présenté comme parlant l’anglais, mais il n’est pas bavard. Il ne répond à aucune de mes questions.

Moi, je réfléchis. Ma première idée était qu’on allait me ramener à Lattakia, à l’hôtel que j’avais quitté ce matin, mais comme on roule dans la direction opposée, ce doit être autre chose.

Va-t-on  me relâcher là où j’ai été arrêté ? Nous dépassons l’endroit.

Va-t-on me ramener à Jablah, lieu de mon premier interrogatoire ? Le panneau Jablah apparaît, disparait.

Alors Tartous, peut-être ? Plusieurs fois un panneau Tartous apparait, disparait. A chaque fois mon anxiété augmente. Et puis cet « interprète » qui ne dit mot !

Puis vient un panneau « Liban » Ca y est, on m’amène à la frontière Libanaise pour m’expulser de Syrie. Mais la Peugeot continue, puis bifurque vers l’Est, direction opposée du Liban ! Alors je sais que je ne serai pas libéré. On m’amène autre part. Puis je sais : Damas ! Ca ne peut être que Damas, la capitale ! Damas est à quelque 340km de Lattakia ! Si on m’amène aussi loin en pleine nuit, c’est que je dois être dans un sacré merdier ! Que va-t-on me faire ?

Entretemps la fatigue m’a attrapée et je somnole.

« Drink ? »  Tiens l’interprète sait parler ! On s’arrête ; eux boivent un thé, moi j’ai droit à un gobelet d’eau.

« Eat ? » A nouveau je m’étais assoupi. Je vois un panneau : Damas 18km. Immédiatement je suis réveillé, tous mes sens aux aguets. On fait une deuxième pause, j’ai droit à un sandwich, puis on repart.

Je suis super attentif, note mentalement tous les points marquants, qui pourront m’aider à me repérer, à retrouver mon chemin. On roule toujours plein Sud ; entretemps nous sommes dans les faubourgs de Damas.

Puis je la vois de loin : L’immeuble est tellement imposant et laid, que ce ne peut être que la prison. Avant d’entrer, mes accompagnateurs sortent deux fusils de dessous leurs sièges et les remettent  aux gardes en civil qui sont postés à l’entrée. Je ne savais même pas qu’il y avait des fusils dans la voiture.

La Peugeot s’arrête devant une rampe qui mène au sous-sol. Ma porte est ouverte, et on me tire brutalement hors de la voiture. Ma tête cogne violemment contre le montant de la porte ; je suis un peu sonné. Mais déjà on m’a pris par le col de mon maillot et me pousse sans ménagement dans une pièce qui doit être le bureau d’admission des nouveaux prisonniers.

Je suis à Far’Falastin, l’une des pires prisons au monde. C’est le centre de torture des services secrets Syriens.

Mais tout cela, heureusement, je ne le saurai qu’après ma sortie.